PSYCHOLINGUISTIQUE - Neurophysiologie des troubles du langage

PSYCHOLINGUISTIQUE - Neurophysiologie des troubles du langage
PSYCHOLINGUISTIQUE - Neurophysiologie des troubles du langage

Les troubles de la communication verbale déterminés par des lésions cérébrales en foyer, troubles que l’on nomme aphasies, ont donné lieu à de nombreuses interprétations qui ne traduisent finalement que deux tendances principales. Dans l’une, les différents désordres du langage, expressif ou réceptif, oral ou graphique, représenteraient des formes spécifiques répondant à des sièges lésionnels déterminés qui altèrent des mécanismes neurophysiologiques particuliers assurant l’encodage (aphasie d’expression), le décodage des sons verbaux (aphasie sensorielle) ou écrits (alexies). La seconde affirme l’unité de l’aphasie qui traduirait seulement, dans le domaine du langage, un trouble fondamental déterminé par la lésion cérébrale. Le malade aphasique, selon les tenants de cette école, n’est pas seulement un homme dont le langage est modifié, mais bien un homme modifié dans son ensemble.

Dans les années quatre-vingt, et sous l’impulsion des recherches de Roman Jakobson, les modèles et méthodes de la linguistique et de la psycholinguistique ont été utilisés dans le domaine des aphasies. Les résultats déjà obtenus témoignent de la réalité des diverses variétés de troubles du langage. La seule unité des aphasies serait en quelque sorte de caractère négatif: la compétence linguistique du sujet parlant (sa connaissance intuitive des règles) reste préservée, tandis que les performances (les réalisations qui dépendent de différents facteurs psychophysiologiques) peuvent être perturbées isolément...

La question des rapports entre troubles intellectuels et troubles du langage reste très discutée. Pour P. Broca comme pour C. Wernicke ou J. Déjerine, il s’agissait de troubles distincts. A. Trousseau, H. Jackson avaient au contraire insisté sur la présence constante d’un affaiblissement intellectuel chez l’aphasique. P. Marie développe cette thèse en définissant l’aphasie par un déficit intellectuel spécialisé concernant «le stock des choses apprises par des procédés didactiques». Pour A. Gelb et K. Goldstein, l’aphasie traduit une modification de l’organisme dans sa totalité; le phénomène essentiel est ici la perte de «l’attitude abstraite».

Sans pouvoir réfuter définitivement ces assertions, les études psychologiques actuelles ne les vérifient guère, et l’on peut affirmer qu’il y a des aphasiques sans déficit intellectuel décelable et capables d’une adaptation sociale normale.

1. Les aphasies

La classification ici retenue tient compte des résultats obtenus tant par la méthode anatomoclinique que de l’application des méthodes psycholinguistiques.

Troubles du langage oral

Aphasies d’expression

Le groupe des aphasies d’expression est lui-même subdivisé en trois sous-groupes, dont les deux premiers ne paraissent représenter que des aspects très proches du même trouble, tandis que le troisième s’en écarte notablement en conservant les caractères d’une aphasie d’expression par l’absence de désordre de la réception et par la persistance de la compréhension verbale.

L’aphasie de réalisation phorématique correspond à l’aphasie motrice des classiques, à l’anarthrie de Marie, à l’aphasie verbale de Head. L’émission verbale est principalement, ou même isolément, perturbée; elle est parfois réduite à quelques émissions stéréotypées. Dans les cas moins sévères, on constate une réduction du langage spontané et des déformations plus ou moins considérables dans l’articulation des phonèmes (paraphasies littérales). Les recherches neurolinguistiques permettent de classer le trouble au niveau phonématique. La conservation du système phonologique est toutefois certaine, et on ne peut parler que de distribution déficitaire plus fréquente. L’agraphie est constante sans que son intensité soit parallèle aux troubles de l’expression orale. La compréhension verbale n’est que peu ou pas troublée; la compréhension du langage écrit est intacte, mais, naturellement, les déformations articulatoires perturbent la lecture à haute voix.

L’aphasie agrammatique ou trouble de la réalisation syntaxique se manifeste par un énoncé constitué principalement de substantifs ou de verbes à l’infinitif avec réduction des termes grammaticaux (style télégraphique); on n’y constate pas de déformation arthrique. Le déficit se situe au niveau des parties constitutives (constituants immédiats) de la phrase, tandis que le programme des réalisations phonémiques n’est pas altéré, du moins dans l’émission spontanée. La réduction générale de l’énoncé dépend ainsi de la réduction des patterns syntaxiques, il y a conservation des lexèmes, encore que le stock lexical soit très appauvri comme l’ont souligné D. Cohen et H. Hécaen.

L’aphasie de conduction ou trouble de la programmation phrastique, relativement rare, est définie en clinique par les troubles de la répétition, la réception et la compréhension verbale restant conservées. Dans l’émission verbale se produisent des accrochages phoniques que le malade tente de corriger, le plus souvent sans y parvenir. Les épreuves de répétition augmentent ces paraphonies qui deviennent considérables lorsque le malade doit répéter des phrases un peu longues. L’analyse linguistique montre que le trouble porte sur la programmation phrastique: la possibilité de manipuler le code grammatical reste intacte, mais la concaténation des éléments réalisés est très perturbée. Les troubles de l’écriture sont également constants, mais, malgré quelques caractères communs, se différencient de ceux rencontrés dans l’aphasie motrice.

L’aphasie amnésique ou trouble de la sélection des morphèmes

L’aphasie amnésique est essentiellement caractérisée par le manque de mots dans le discours spontané et l’incapacité de donner le nom des objets présentés.

Bien qu’on rencontre le trouble de la dénomination verbale dans différents syndromes aphasiques, il semble qu’on soit en droit d’admettre qu’une analyse plus minutieuse des performances puisse révéler des caractères différents selon le contexte aphasique, d’autant plus que la présence de formes isolées ne peut être niée malgré leur rareté. Si les recherches de C. Oldfield tendent à prouver que le trouble de l’évocation verbale traduit un mode commun de l’altération du langage, il existe toutefois certaines indications qui permettent de considérer que le trouble peut revêtir une spécificité particulière selon les cas (modalité sensorielle de présentation du stimulus, champs lexicaux, compensation selon le contexte textuel ou syllabique, apparition dans le langage spontané ou dans la situation de test).

Les aphasies sensorielles

L’aphasie de Wernicke est caractérisée par la présence de troubles de la réception et de la compréhension verbales. Le discours est abondant, fluent, mais rendu plus ou moins incompréhensible par les déformations des mots, les substitutions, les télescopages et les itérations (paraphasies verbales). Dans les cas sévères, le discours devient totalement incommunicable (jargonaphasie), sans que parfois le malade en prenne conscience (anosognosie).

La compréhension du langage écrit est toujours perturbée et, dans la lecture à haute voix, les paralexies sont nombreuses. On constate les mêmes erreurs dans l’écriture que dans le langage oral.

On a décrit aussi une surdité verbale pure , qui se caractérise par la seule perte de la réception des sons du langage. Le trouble se limite donc dans ces cas exceptionnels à la perte de la compréhension de la parole et de l’écriture sous dictée; la lecture, qui n’est pas perturbée, permet seule la communication avec le malade.

L’aphasie sensorielle représente un syndrome fort complexe dans lequel il paraît possible de distinguer l’intervention de différents facteurs, le plus souvent intriqués, mais pouvant se manifester de façon quasi isolée, comme dans le cas de la surdité verbale pure.

L’aspect de surdité verbale prédominante se révèle par l’impossibilité de répéter tout item, significatif ou non. Les émissions spontanées sont marquées par une relative cohérence thématique, mais les paraphasies, où prédominent les néoformes verbales et l’anomalité des phrases, rendent sa compréhension difficile. L’épreuve de dénomination verbale est très perturbée. La lecture est très nettement supérieure à la compréhension orale. L’écriture sous dictée est impossible, tandis que l’écriture spontanée, quoique toujours altérée, est possible, la copie restant intacte.

Si le trouble de la compréhension verbale prédomine, les performances dans la répétition des syllabes sans sens, et surtout des mots, sont d’un niveau élevé, tandis que la compréhension des ordres oraux et écrits s’effondre. Le discours est extrêmement diffluent, avec des paraphasies nombreuses, surtout de type substitutif, qui entraînent des glissements sémantiques. L’écriture spontanée est fortement paragraphique, la dictée est en revanche mieux exécutée.

Un troisième facteur paraît constitué par la désorganisation attentionnelle : elle retentit d’une manière spécifique sur le comportement linguistique des malades, qui peuvent ne pas présenter de troubles de la compréhension et de la réception verbale. Le désordre se manifeste dans le langage spontané et dans les épreuves de transformation grammaticale, avec un double aspect de persévération (écholalie, itération) et de distractibilité.

Troubles du langage écrit

Les troubles de la lecture et de l’écriture sont souvent, sinon même constamment présents lors des troubles du langage oral, mais ils peuvent aussi se présenter isolément, indépendamment de toute difficulté de l’expression orale.

Les agraphies

Associé à des troubles du geste (apraxies), le désordre de l’écriture peut ne porter que sur la réalisation des graphèmes. Plus souvent d’ailleurs, quelques difficultés dans l’épellation et dans l’écriture avec des cubes alphabétiques ne permettent pas de les considérer comme d’ordre uniquement apraxique. L’agraphie peut également être associée à l’alexie, réalisant alors une atteinte de l’encodage et du décodage du langage écrit, avec une absence ou un minimum de troubles du langage oral. L’écriture est ici atteinte dans ses trois modalités (sous dictée, spontanée et copiée), tandis que, à côté des difficultés de réalisation des graphèmes, on constate des désordres dans la constitution des morphèmes graphiques, la structure syntaxique des phrases restant conservée.

Enfin, il peut exister des formes d’agraphie «pure », c’est-à-dire non associées à des troubles du langage oral, ni de la lecture, ni des praxies. Les graphèmes, les règles morphographématiques sont conservées; le désordre porte sur la combinaison ou sur la sélection des lettres, ou réalise une association de ces deux types. Malgré leur caractère exceptionnel, ce qui implique pour leur manifestation d’autres facteurs que celui de la localisation lésionnelle, l’intérêt théorique des observations d’agraphie pure paraît très grand en montrant le degré d’autonomie que peut atteindre le code graphique par rapport au code oral.

Les alexies

En dehors des alexies des aphasies sensorielles et du syndrome alexie-agraphie, il est des alexies «pures », c’est-à-dire sans trouble du langage oral ni de l’écriture autre que de la copie.

Les alexies pures présentent un certain nombre de caractères communs qui les opposent aux autres alexies: absence de troubles du langage oral à l’exception de quelques troubles de l’évocation verbale, conservation de la stratégie perceptive de la lecture, intégrité de l’écriture sous dictée ou spontanée et de l’épellation, perturbation de la copie.

Ces alexies doivent être différenciées en alexies verbale, littérale, phrastique ou globale. Ces variétés ne traduiraient pas seulement une simple différence d’intensité, mais des caractères structuraux particuliers.

Dans l’alexie verbale , la reconnaissance des lettres demeure, ainsi que la lecture des mots, quelle que soit leur classe ou leur signification, par épellation. Les difficultés s’accroissent avec la longueur du mot. Si les ordres simples sont généralement lus, la lecture des ordres compliqués ou celle d’un texte devient impossible, peut-être en raison d’un certain déficit de la mémorisation immédiate. L’écriture n’est pas troublée, ou très peu, et la copie, quoique toujours perturbée, n’est cependant pas servile. Les chiffres sont lus et même les nombres. Les phénomènes d’agnosie visuelle sont fréquemment associés.

Dans l’alexie littérale , les erreurs sont nombreuses dans l’identification des lettres, qui est cependant rarement abolie en totalité. Par contre, les mots sont mieux lus, spécialement les lexèmes; au contraire, les mots fonctionnels et les syllabes sans sens ne peuvent être identifiés.

Des paralexies se produisent fréquemment dans la lecture des mots: approximation d’après la forme graphique du mot, surtout dans sa terminaison, et, fait plus particulier, paralexie «dans la sphère», qui donne une approximation sémantique du mot à lire, avec parfois, mais secondairement, une différenciation. Ces types de paralexies ont été spécialement étudiés par J. Marshall et F. Newcombe.

Les approximations abondent dans l’exécution des ordres écrits ou lorsqu’il s’agit de donner le sens du texte lu. La lecture des chiffres et des nombres est plus atteinte que dans le type précédent. Les troubles de l’écriture sont aussi plus nets dans cette variété, et la copie révèle plus de paragraphies que dans la variété précédente.

Dans l’alexie de la phrase , la lecture des lettres et des mots est conservée dans une grande mesure, mais les erreurs deviennent nombreuses dans les ordres simples et s’accentuent avec les ordres complexes. La lecture du texte est impossible.

Dans l’alexie globale , aucune lettre ne peut être reconnue, mais l’écriture spontanée ou sous dictée est quasi normale. C’est dans cette forme que la compensation par voie kinesthésique de la perturbation de la lecture des lettres par voie visuelle paraît la plus fréquente. La reconnaissance des chiffres est ici habituelle, mais cependant non constante; on peut citer, en revanche, la perte de la lecture des notes de musique dans plusieurs observations.

Tenter de présenter les faits de la façon systématique que réclame toute classification oblige naturellement à négliger l’intervention d’un certain nombre de facteurs qui, dans la réalité, tendent à effacer les limites des formes déjà plus ou moins artificiellement isolées. En dehors des facteurs anatomiques (nature de la lésion, son caractère aigu ou chronique, régressif ou progressif, l’effet de masse), dont le rôle est évidemment considérable dans l’apparition de manifestations pathologiques isolées ou se cumulant, il en est d’autres dépendant plus spécifiquement du sujet et du milieu culturel et linguistique dont il fait partie. À l’extrême, ces facteurs joueront un rôle tel qu’ils entraîneront des formes particulières d’aphasie dans lesquelles la topographie lésionnelle ne sera plus déterminante (ou le sera beaucoup moins) sur les aspects pathologiques du comportement verbal. Le syndrome produit par la lésion cérébrale, quel qu’en soit le siège, tendra à revêtir une forme commune pour le groupe de patients ainsi réunis par leurs caractéristiques prémorbides.

Telles sont ces formes spéciales que constituent les aphasies chez l’enfant, chez les sourds-muets, à un degré moindre chez les polyglottes, chez les sujets gauchers et chez les déments.

2. Interprétations

Découverte des centres du langage

La notion de centres du langage se fonde sur deux découvertes essentielles.

En 1861, Broca met en relation le trouble de la faculté du langage articulé avec la lésion d’une zone déterminée de la corticalité cérébrale, le pied de la troisième circonvolution frontale. Il précise, en 1865, la dominance de l’hémisphère gauche pour cette fonction chez le droitier. Wernicke, en 1874, établit que la lésion d’une aire postérieure sur le même hémisphère, la première circonvolution temporale, entraîne des troubles de la réception du langage (aphasie sensorielle ou aphasie de Wernicke).

Se fondant sur la notion de ces deux centres, l’un antérieur moteur, l’autre postérieur sensoriel, Wernicke propose un modèle associationniste pour rendre compte des différents aspects pathologiques des troubles du langage.

Ce modèle, d’abord très simple, deviendra de plus en plus complexe. Pour tenter d’expliquer la fonction du langage, l’ensemble des perturbations du langage est identifié au fonctionnement de centres d’emmagasinement d’images et de voies de connexions qui les relient entre eux ou à un hypothétique centre idéatoire. Enfin, il est tenu compte, dans ces schémas, des voies reliant les centres d’images aux organes d’émission ou de réception.

Quels que soient les excès de cette période dite des «schémas» dans les interprétations des phénomènes pathologiques, le défrichement qu’a permis l’utilisation de ces modèles a abouti à l’isolement des diverses perturbations des comportements verbaux et à leur mise en relation avec des lésions déterminées.

La synthèse à laquelle aboutissait Déjerine marquait le terme de la période associationniste. Il décrivait la «zone du langage» comme étant constituée de trois régions:

– une partie antérieure, région de Broca, constitvée par la partie postérieure du pied de F 3, l’opercule frontal, la zone corticale immédiatement voisine (cap de F 3 et pied de F 2), à l’exclusion de l’opercule rolandique; elle s’étend peut-être jusqu’à la partie antérieure de l’insula;

– une partie inférieure ou temporale, région de Wernicke, qui correspond à la partie postérieure des première et deuxième circonvolutions temporales (centre des images auditives des mots);

– une partie postérieure, qui correspond au pli courbe (centre des images visuelles des mots).

Déjerine, enfin, reconnaît l’existence de formes pures d’aphasie à localisation sous-corticale: aphasie motrice, surdité verbale, et alexie pure; il montre que la lésion déterminante de cette alexie siège au niveau de la substance blanche du lobule lingual.

L’interprétation noétique des aphasies

La réaction naît avec Marie (1906), qui rejette le rôle de l’aire de Broca dans l’aphasie, considérant qu’il n’existe qu’une seule forme d’aphasie de Wernicke, attribuable aux lésions de l’aire postérieure.

L’aphasie doit être définie par la «diminution de l’intelligence» qu’elle comporte, et ce déficit concerne le «stock des choses apprises par des moyens didactiques».

Déjà Jackson avait considéré le langage comme une activité mentale, une fonction psychologique liée à l’intégrité cérébrale, mais qui ne saurait être enfermée dans les territoires dont les lésions produisent ses déficits. L’aphasie était avant tout la perte du langage intellectuel, de la faculté de réaliser des propositions, tandis que restait conservé le langage inférieur ou automatique.

Jackson comme Marie mettaient l’accent sur l’atteinte des fonctions intellectuelles chez l’aphasique.

Ces thèses dites noéticiennes trouvent leur plein épanouissement dans l’application de la Gestalttheorie que A. Gelb et Goldstein font à ce domaine des troubles du langage. L’aphasie est alors considérée comme «une manifestation spéciale de la modification générale qui atteint l’être entier». Cette modification existe chez tout sujet atteint de lésion cérébrale non limitée aux zones de réception ou de projection.

Elle consiste en une impossibilité à différencier la figure du fond et se traduit par «une régression vers un comportement moins abstrait, moins rationnel, plus immédiat et donc plus concret, donc en ce sens plus primitif» (Gelb). La théorie se présente de façon extrême, mais Goldstein, en introduisant la notion d’instrumentalités motrices et sensorielles du langage et en admettant qu’elles puissent être atteintes isolément, reconnaît l’existence de formes aphasiques motrices ou sensorielles, pures ou accompagnées de troubles de l’attitude abstraite.

Les travaux modernes et la notion de zones fonctionnelles

En réalité, sur le plan anatomique, les travaux ont peu porté sur des cas anatomocliniques isolés. Il a été surtout procédé à l’analyse de larges séries d’observations soit de traumatismes cérébraux de guerre, soit de lésions d’étiologies variées. Leurs conclusions confirment celles de Déjerine sur le siège et l’étendue de la zone du langage, avec sa double polarité motrice et sensorielle, tout en montrant la fréquente intrication des aspects cliniques. Ces recherches soulignent aussi l’importance du rôle de la quantité de tissu détruit à l’égard de l’intensité, de la persistance et du caractère plus ou moins global des troubles du langage. Les travaux de W. Penfield ont permis d’envisager sous un angle quasi expérimental la question de l’aphasie. La stimulation peropératoire de certaines aires corticales lui a permis de déterminer des arrêts de la parole et des désordres de type aphasique. Les troubles du langage étaient obtenus à partir de quatre zones corticales sur l’hémisphère gauche: l’aire frontale inférieure, correspondant à l’aire de Broca; les aires pariétale et temporale, qui peuvent être séparées ou ne représenter qu’une seule zone; l’aire frontale supérieure et interne, qui est située immédiatement en avant de l’aire de représentation motrice de l’extrémité distale du membre inférieur, ou aire supplémentaire motrice.

Revenant aux modalités cliniques retenues, les localisations lésionnelles peuvent être ainsi systématisées:

– les aphasies d’expression correspondent à des lésions antérieures atteignant non seulement la région de Broca, mais peut-être aussi la partie inférieure des circonvolutions rolandiques;

– l’aphasie de conduction dépend de l’atteinte de la région pariétale postérieure, peut-être en association avec des lésions de la partie postéro-supérieure du lobe temporal;

– les aphasies sensorielles correspondent aux lésions de la zone de Wernicke; l’atteinte postérieure de cette zone se traduit par l’intensité des troubles du langage écrit;

– l’aphasie amnésique , envisagée de façon très générale, paraît être déterminée par des lésions de sièges divers; elle est particulièrement fréquente et intense lors des lésions temporales; lorsqu’elle se présente quasi isolément, l’atteinte temporale postérieure est le plus souvent, sinon exclusivement, rencontrée;

– la surdité verbale pure dépend de lésions temporale corticale bilatérale ou unilatérale gauche, mais alors sous-corticale;

– les lésions qui déterminent l’alexie pure sont de siège occipital (lobule lingual) et calleux. Le rôle de cette dernière lésion est vraisemblablement primordial car l’interruption du corps calleux ne permet plus aux entrées visuelles arrivant seulement au lobe occipital droit (en raison de la présence constante d’une hémianopsie droite dans les cas d’alexie) de gagner les centres du langage sur l’hémisphère gauche.

Les connaissances quant à la localisation des symptômes aphasiques restent très voisines de celles en cours à la fin de la première période des recherches. Toutefois, à la notion trop étroite et trop précise de centre, on a substitué celle de zone fonctionnelle. Autour de la zone centrale que représente la zone de Wernicke, peuvent être reconnus un certain nombre de pôles: un pôle antérieur moteur paraît centré sur la partie basse de la circonvolution rolandique, dans son versant frontal, comme semblaient l’indiquer les thèses classiques (pied de F 3); un pôle postérieur concerne la lecture, ce pôle pouvant lui-même être dédoublé en un pôle plus visuo-verbal (lobule lingual) et un autre plus visuo-graphique (pli courbe); un pôle supérieur paraît tout à fait superposé aux dispositifs sous-tendant les activités gestuelles (lobe pariétal).

Rapprochements pluridisciplinaires

Ces données sur la topographie lésionnelle des différents types d’aphasie doivent être mis en relation avec les développements de la linguistique d’une part, et de la neuropsychologie animale, d’autre part. Les recherches tendent à décrire la nature des perturbations de ces comportements et à préciser les niveaux auxquels elles se produisent, en utilisant les modèles et les méthodes de la linguistique, de la psycholinguistique et de la phonétique expérimentale.

On tente ainsi d’isoler et de définir des formes structurales d’aphasie et d’apprécier leur dépendance par rapport aux sièges lésionnels corticaux.

Il faut aussi retenir la disposition particulière des sièges lésionnels entraînant les divers types de troubles du langage: lésion proche des zones effectrices dans l’aphasie d’expression; lésions proches des zones réceptrices, auditives, dans l’aphasie sensorielle visuelle et dans les alexies; lésions siégeant dans les zones d’intégration polysensorielle dans l’aphasie de conduction.

Les connaissances neurophysiologiques concernant le fonctionnement de ces zones permettent alors d’invoquer le rôle de certains facteurs dans l’impossibilité où la difficulté des performances verbales, étant bien entendu qu’il s’agit de deux niveaux d’explication et que l’écart reste encore considérable entre eux.

De tels rapprochements sont nécessaires, mais comportent évidemment le danger du schématisme, dans la mesure où le langage est une activité extrêmement complexe et une fonction spécifique de l’espèce humaine.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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